Revue 3ème Millénaire Automne 2013 N°109
Au-delà de la connaissance
Au-delà de la connaissance
Voir et savoir : la connaissance en question
Nous savons de plus en plus de choses, et pourtant nous ne savons plus voir simplement, percevoir ce qui est, libre de l'aliénation des savoirs auxquels nous accordons inconsciemment créance. Voir au-delà du connu, voir au-delà de la connaissance, n'a presque plus aucun sens, hormis l'expérience des drogues – conditionnements puissants – qui excitent la perception et détache violemment la conscience sensorielle de la raison. Il est pourtant vital de reconsidérer sainement l'acte pur qu'est la co-naissance au monde et à soi-même, pour « apprendre à accéder aux connaissances autrement qu'avec le mental », remarque Andreas Freund. Il faut, souligne-t-il, qu'« une nouvelle vision dépasse la pensée normative, associative, cadrée par les concepts connus et leurs extrapolations. Il faut chercher la connexion à un mental, une intelligence supérieure pour créer un nouveau paradigme ». « Voir au-delà de la connaissance, c'est d'abord voir et identifier ce qu'est la connaissance puis aller “au-delà”», constate Patrick Lévy. Dépasser la connaissance pour la co-naissance, c'est aller à l'être, c'est voir qu'il manque à nos savoirs, à nos connaissances, l'être que nous sommes, la présence vivante que nous incarnons. Comme le demande Serge Pastor : « Les savoirs présents ne gagneraient-ils pas à s'appuyer enfin sur le savoir-être, sans lequel les savoirs et les savoir-faire sont forcément incomplets ? »
Comment “Voir” ?
Avec Dominique Casterman, nous pouvons nous interroger suivant la voie d'une “expérience” libératrice : « Comment voir au-delà de la connaissance, comment être lucide au point de vivre chaque instant sans que rien ne se superpose à nos fonctions de perceptions physiques, mentales et affectives ? » Puis nous pouvons comprendre l'importance de l'immédiateté : « L'au-delà de la connaissance est pour maintenant. Si nous pensons qu'elle est pour demain, c'est que nous sommes toujours dans nos anciennes habitudes sur le plan horizontal qui inexorablement va du connu au connu. » Le “pragmatisme” spirituel d'Edouard Salim Michaël peut devenir un chemin : « Vous allez remarquer, dit-il, que, chaque fois que votre attention est aspirée vers l'extérieur, votre esprit et votre être deviennent troublés et que, chaque fois que votre attention est redirigée vers l'intérieur, vous commencez à goûter le tout début d'une paix inhabituelle, mais faute d'être comprise et appréciée, cette paix ne dure pas longtemps. En peu de temps, on se trouve emporté et piégé à nouveau. » Mais le chemin continue… Michael Siciliano envisage une approche complémentaire lorsqu'il nous dit que : « De façon générale, dans tous les chemins de vie, l'inconnu fait très peur. Même ceux qui apprécient l'inconnu dans le monde réel, ceux qui aiment explorer les endroits inconnus d'eux, s'aventurer dans des lieux ou activités nouveaux, s'ils sont amenés à un endroit particulier à l'intérieur d'eux, connaîtront des peurs. Car face à l'inconnu, les peurs émergeront. Précisons que l'inconnu que nous évoquons ici n'a rien à voir avec la personnalité. Alors pour aller au-delà de la personnalité, pour pouvoir accepter et être avec l'inconnu, vous devez avoir la force d'affronter vos peurs. » Apprendre à “voir”, nous amène donc à découvrir les “mécanismes” de la personnalité fragmentée entre la partie qui “observe”, qui analyse, qui cherche à comprendre et les parties qui sont connues, ou restent à connaître. Mais dans cette optique, une observation globale, un regard panoramique, devient indispensable. Se connaître avec la vision globale de ce qui est vu et de celui qui voit, est exprimé ainsi par Ligia Dantès : « Une personne qui observe avec neutralité, qui cherche avec cette neutralité, peut ressentir avec clarté son interdépendance avec la totalité ». Pour Daniel Herbst, “l'observation” s'exprime parfaitement dans les termes de “l'écoute” : « Plus nous nous laisserons entraîner par l'écoute, plus souvent nous oublierons d'intervenir de façon précipitée. Nous devenons silencieux. Quelle intelligence est au travail ! Quelle beauté ! » L'intelligence et la beauté sont « dans chaque chose » lorsque le regard, ou l'écoute, trouve sa simplicité foncière. Éric Baret le précise ainsi : « Je dois regarder dans chaque chose et me demander si je cherche mon intérêt ou si j'agis librement, sans stratégie. Ce n'est pas un examen de conscience morale, mais une écoute d'une totale précision. Je dois le sentir dans chaque cellule. » L'approche globale n'est jamais fragmentaire, jamais dans la séparation de celui qui observe pour agir (ou plutôt réagir), de celui qui écoute pour saisir. L'attention libératrice est sans “tension” et sans intention. C'est une éternelle “dé-couverte” de ce qui voile le regard, de ce qui brouille l'écoute. « Sans cette perception globale de base de la vie humaine, ajoute Serge Pastor, sans cette conjugaison des trois savoirs, savoir, savoir-faire et savoir-être, le “connu” de la vie reste fragmenté, inachevé… »
Co-naître : la découverte du Soi
Cet au-delà des savoirs, que nous pouvons nommer la co-naissance à la globalité, à l'unité, est la “vraie connaissance”, car pour Nicole Montineri, « La connaissance est unitive. Elle se situe hors de la pensée. Elle est directe, immédiate, vision globale des faits. Elle se trouve en chacun de nous, en notre cœur subtil, à la fois intime et universelle. En cette absence de distance avec la réalité de ce que déploie la vie à l'instant se trouve l'amour. En elle-même, la connaissance est infinie. Elle est le rayonnement du Cœur divin qui se déploie, déborde, manifeste, se révèle, puis reflue, se résorbe, de toute éternité. La connaissance qui va s'élargissant en notre espace intérieur jusqu'à l'illumination – qui est connaissance totale – est la révélation en nous de notre identité en essence avec le divin. La connaissance se dévoile par la vie qui devient peu à peu consciente d'elle-même en nous. » Car « L'arbre de la connaissance, nous dit Patrick Lévy, rien n'indique où il est, à quoi il ressemble, et comment on le reconnaît […] La connaissance est potentiellement partout puisqu'elle n'est pas précisément quelque part […] L'arbre de la connaissance, c'est l'adam lui-même, l'humanité elle-même ». Unmani évoque le jeu paradoxal de la pensée « L'ensemble de la vie est ici sans limites, et pourtant la nature de la pensée est d'imaginer des limites et des lieux. Quel paradoxe. Et ce paradoxe se joue dans notre monde. Nous jouons comme si nous étions limités à des corps séparés. Telle est la nature de la pensée. Elle joue comme s'il y avait dualité. » Toutefois, nous nous leurrons gravement en croyant pouvoir poser le pied au-delà de la dualité, sur le continent inconnaissable de la conscience. Unmani nous rappelle qu'« On ne peut jamais expérimenter le Soi. Le Soi n'est pas un objet qui peut être connu dans ce monde de l'expérience. Toute expérience du Soi est une expérience qui apparaît dans le Soi. La nature de la pensée est de continuer à essayer de la fixer à une expérience spécifique, puis de s'accrocher à cette expérience. Mais la beauté du Soi, c'est qu'il est si mystérieux, si absolument sans limites et intemporel, qu'il ne peut jamais entrer dans une expérience particulière […] Connaître la nature du Soi, c'est explorer la totalité de la réalité. » C'est aussi ce que Gérard fait remarquer : « Il est avant tout avant, en “amont – au-delà” de tout ce qui peut être connu, donc inconnaissable, indicible et pourtant indubitable grâce à sa fragrance, cette aperception insaisissable que nous touchons lorsque nous regardons vers ce qui connaît l'Êtreté. »
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