lundi 30 mars 2020

Stephen Jourdain








« CETTE VIE M’AIME »

De Stephen JOURDAIN


    Ca ne vous est jamais arrivé, de vous promener dans une rue, et puis tout à coup, ce n’est plus dans une rue que vous êtes, c’est dans La Rue, tout vous arrive précédé de l’article défini, et se met comme à briller, et un extraordinaire bonheur fondant et bourdonnant est là, avec l’impression qu’il y a des siècles que vous vivez cette seconde, qui durera toujours ? 

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  Au milieu de la nuit, je me réveille. Le compartiment est plongé dans l’obscurité, et tout le monde dort. Merveilleux déjà, çà, ce retour à soi-même dans les ténèbres pleines de fracas et enluminées de présences endormies, qui vous emmènent… ; comme l’éveil a une flamme profonde et claire, et douce, alors !
…Ma place est à côté de la fenêtre, j’ai ramené mes jambes sur la banquette, et, par le biais de la vitre supérieure, je plonge dans la nuit bleue. Ça ne bouge pas, et çà fourmille d’étoiles ; présence et blancheur diffuse d’un nuage solitaire, qui stagne.
  Il me semble me souvenir que je pense à Mercédes qui va me trouver tellement plus mûr, plus « homme » que l’année dernière.
  Je regarde le nuage…
  Et soudain, il se passe cette chose fantastique, et, pour une seconde ou deux, les portes du Paradis s’ouvrent : 
Soudain, la substance du  nuage change, il se transmue en un pan d’une matière inconnue, angélique, - barbe à papa spirituelle, intériorité faite talc ? …. En même temps, l’intervalle entre lui et moi meurt – le nuage devient vivant, s’anime d’une vie immense. Cette vie m’aime ; cette vie, avec laquelle mon esprit (où Je est étrangement évident) communique directement, m’aime d’un amour infini et me le dit.
 Et dans cette voix, oh, fabuleux bonheur ! Je reconnais la mienne, JE SUIS LE NUAGE.

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«  Quand j’essaye de m’atteindre, au-dedans de moi-même, j’empoigne une vague sensation derrière mon nez, et je crois que c’est moi. Si les choses se passaient autrement, j’ai idée que le ciel s’écroulerait. »
Eh oui, ami, vous ne vous trompez pas ; mais ce que l’intuition ne peut vous faire présager, c’est qu’aussi il s’ouvrirait.

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  Pouvez-vous concevoir la moindre différence entre vous-même  vous parlant et vous connaissant dans la fraternelle intimité de votre esprit, et un autre se parlant et se connaissant dans la fraternelle intimité de son esprit ? – et comme de toute évidence, ceci, c’est vous, cela, c’est l’autre, c’est moi, pouvez-vous concevoir la moindre différence entre moi et vous ?


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  Çà me turlupinait, pendant ma première, la phrase de Descartes : «  je pense, donc je suis. » Une fois, je me souviens extraordinairement bien, avant de m’endormir, j’avais embranché là-dessus avec une intensité particulière, bien décidé à ce que çà crève ou dise pourquoi ; et certainement à un moment, j’ai dû m’endormir, car tout d’un coup, sans crier gare, je me suis éveillé.

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  Çà ne vous est jamais arrivé de vous rencontrer, au détour d’une de vos pensées, nez à nez avec Je ? C’est une expérience inoubliable : le Paradis sur un plateau, et tout un état civil à revoir.




extrait du livre "Cette vie m'aime" Stephen Jourdain  (épuisé)



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