Le pet d’éveil
Abu Bakh (Dieu veille sur lui !) cheminait un matin avec quelques disciples.
Le sage allait devant, assis sur son baudet. Les autres étaient à pied. Comme ils allaient ainsi sous le soleil content, l’âne lâcha un pet. Bouleversement d’Abu Bakh. Il sursauta en gémissant comme un amant soudain éperdu de bonheur, il se déchira la chemise, la face au ciel, riant, pleurant.
- Seigneur, s’exclama-t-il, Seigneur, comme je T’aime ! Comme Tu parles juste et clair dans Ton infinie compassion !
Ses disciples se regardèrent, déconcertés, les sourcils hauts.
L’un d’eux osa lui demander :
- Maître, que vous arrive-t-il ? Un âne pète et Dieu vous vient ?
L’air nous manque, expliquez-nous vite !
Il répondit :
- Mes chers enfants, comme nous allions sous la brise, l’âme en paix et le corps aussi, je pensais : « Je chevauche droit, bien au chaud dans mon grand manteau, mes disciples sont là autour, trottinant au plus près de moi. Ils sont discrets, ils me respectent, ils se disputent le plaisir de tenir la bride de l’âne. Décidément, je suis quelqu’un. Je suis un cheikh considérable. Voilà comment, le jour venu, honoré de la terre au ciel, j’entrerai dans la haute gloire de la résurrection des saints ! » Comme je me disais cela, l’âne péta.
Réponse brève à ma litanie d’âneries, mais d’une justesse si pure que extase m’en est venue.
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