samedi 19 septembre 2009

Other worlds





Comment traduire l'inconnaissable en termes du connu.
Pourquoi le réalisateur de Dobermann et Darshan veut faire un documentaire sur le shamanisme shipibo ?
Après mon film Dobermann où j'avais pu exprimer, avec une joie de sale môme, mon anticonformisme viscéral, je sentis qu'il était temps que j'aborde enfin le sujet de la réalité de mon existence jusque-là joyeusement chaotique, et de ma place dans l'univers...

Mais par où commencer ?

Verrouillé par nos sens, on ne peut voir qu'une dimension de la réalité. Avec nos yeux, nous ne percevons qu'une faible partie de la réflexion du spectre de la lumière sur la matière. Il en est de même avec le reste de nos sens. J'ai toujours eu la conviction qu'il existe d'autres dimensions, que notre cerveau et notre système nerveux sont un filtre pour notre conscience.
Un filtre nécessaire pour appréhender le monde matériel, mais un filtre trop souvent source de doctrines culturelles, morales et scientifiques qui nous envoient une image réductrice de l'Univers. Donc la question restait pour moi en suspens... est-il possible un instant de déchirer le voile ?


Shamanisme

Mis à part le bouddhisme, et la tradition dzogtchen du Tibet qui parle de techniques terriblement contraignantes pour approcher l'Invisible, je ne trouvais pas dans les religions d'approches satisfaisantes. Je me suis alors plongé dans les écrits des mystiques. C'est ainsi que j'ai croisé le chemin du shamanisme. Au travers de lectures, j'ai pu découvrir la vie de ces hommes, les shamans qui à l'aide de plantes, de méditations, de chants et de rites voyagent dans l'Invisible.
A la différence de ce que j'avais lu auparavant, les shamans n'apportaient pas de réponses, ils ne faisaient que rapporter leurs constatations et, sur la base de leurs propres expériences, établissaient leur système de croyances. Leur rôle : guider les âmes dans leurs quêtes personnelles.
Même si pour la plupart des occidentaux, les shamans sont considérés avec condescendance, amusement voir peur, comme des sorciers qui utilisent des drogues puissantes, qui entrent en transe, et qui vivent en dehors de la réalité...
Je suis parti à leur rencontre au Mexique dans la sierra des indiens huichols, reconnus pour leur shamanisme actif dont les sources remontent à plusieurs millénaires. Là, j'ai côtoyé des shamans et partagé leur rite du peyotl. De cette première expérience, je suis revenu troublé mais insatisfait. Aucun lien personnel ne s'était tissé entre nous. Alors je suis reparti, cette fois dans la jungle péruvienne où existe un shamanisme très puissant associé à la plante sacrée l' Ayahuasca : " la liane de l'âme ". Après plusieurs rencontres et expériences avec des curanderos (guérisseurs) et des brujos (sorciers), j'ai rencontré " Questembetsa ", un shaman Shipibo-conibo, qui m'a fait vivre le shamanisme de l'intérieur.


Les Shipibo-Conibos

Les Shipibo-Conibos sont 45 000 et vivent en communauté le long du fleuve Amazone au Pérou. "Quetsembetsa" est le guide spirituel de tous les Shipibos-conibos. Un Maître shaman qui forme les shamans de son peuple. Grâce à lui, nous avons pu filmer une cérémonie au solstice d'été, qui a duré trois jours et trois nuits. C'est une fête traditionnelle qui n'a jamais été captée par une caméra et pour cause elle n'a pas eu lieu depuis 70 ans et n'a été vue que par très peu de " non indiens ". Grâce a des caméras à vision nocturne, nous avons pu enregistrer les images de moments uniques.
Sous la protection de "Quetsembetsa", j'ai vécu durant ces cérémonies une expérience qu'on pourrait définir comme une NDE, une expérience de " mort imminente contrôlée ". Pour moi, c'était une expérience de conscience très forte où je suis passé de l'autre côté, derrière le miroir. Mon initiation avait commencé, elle dure depuis plus d'une année. C'est ce parcours initiatique, le soin que j'ai reçu, qui me permet de pouvoir parler du shamanisme.



Une technologie de la conscience.

La pensée conceptuelle est un outil limité, lorsqu'il s'agit d'aborder réellement le travail sur la conscience. En effet, la conscience humaine a une tendance naturelle à s'identifier à la pensée, la limitant de ce fait. Les shamans eux utilisent une technologie, un agent extérieur, les plantes sacrées, de puissants psychotropes, qui permettent à l'individu guidé par eux de " décoller " la conscience de la pensée. L'inconscient se dévoile progressivement. Au cours de l'expérience une autre réalité apparaît, observée par l'œil de la conscience.
S'agit-il de se souvenir de qui nous sommes ou simplement de le découvrir ?
Sans mot, cette réalité s'exprime parfois dans la terreur, les larmes et la souffrance, parfois avec beauté, avec des larmes d'amour devant la magie. Elle vient de l'intérieur de l'Etre, sous forme d'images archétypales. La réalité est individuellement déterminée par l'histoire personnelle et la culture de chacun.
La mythologie nous rassemble tous et les visions puisent à cette source. Chacun de nous est un univers infini, dont les anges et les démons sont les pensées, les émotions, la mémoire, le corps. Mon voyage au fond de la jungle s'est poursuivi par la rencontre avec des scientifiques travaillant à " l'Aton Institut " en Norvège un laboratoire travaillant sur la conscience, la physique quantique, la chimie moléculaire des plantes sacrées, et les civilisations du passé.


Plantes sacrées ? Drogues ?

Le Psychotrope est une Drogue : le mot est synonyme de déchéance dans notre culture, mais dans les civilisations du passé, chez les Incas ou les Egyptiens, ces plantes psychotropes étaient considérées comme des outils de connaissance, les plantes magiques, les " plantes maîtres ".
Les scientifiques témoignent, et expliquent à l'aide de modélisation, que la clé se trouve dans l'ADN, la programmation génétique, la glande pinéale, le fameux troisième œil situé entre les deux hémisphères du cerveau. Les molécules de ces plantes sont pour eux de la nanotechnologie moléculaire activatrice de conscience. Les anges et les démons sont le contact archétypale avec l'encodage positif et négatif de notre ADN. Aujourd'hui les hommes qui savent utiliser ces plantes sont les shamans. Pour eux, ces plantes sont des outils mis a la disposition de l'homme par l'Univers pour lui permettre d'entrer par l'Invisible en relation avec lui.


Les directions à venir du film.

Le film sera le témoignage d'une aventure personnelle et subjective, mais n'oubliera pas de montrer aussi les dangers du shamanisme, celui de se perdre dans la lumière ou dans l'ombre de ses émotions fraîchement éveillées ; celui de mal interpréter le ressenti ou les visions au risque d'amener jusqu'à la schizophrénie si le travail n'est pas fait avec des shamans compétents ou si on ne l'aborde pas avec une grande discipline et une diète stricte. Le film montrera surtout le pouvoir thérapeutique de ces shamans et de leurs plantes, une forme ancestrale de psychanalyse, une psychothérapie de l'être ayant 4000 ans d'expérimentations. Le film laissera aussi la parole aux shamans, et montrera que leurs cultures et leurs croyances découlent de leur connaissance de l'Invisible. Des images de synthèse reproduiront la puissance des visions récurrentes et le spectacle, la vision poétique, l'humour et la terreur que j'ai ressentis en les éprouvant.
Le film poursuivra son enquête par des entretiens avec des thérapeutes, des ethnologues, des spécialistes de la chimie moléculaire du cerveau. Et pour tenter de cerner l'interaction invisible du travail du shaman vis-à-vis d'un " novice ", nous enregistrerons les ondes cérébrales entre Questembetsa et moi durant une cérémonie, ce printemps, afin d'étudier leurs résonances et permettre de les matérialiser.
Enfin, les entretiens commencés en décembre 1999 d'occidentaux suivant une thérapie seront poursuivis afin de confronter les interviews sur maintenant plus d'une année. Mon expérience personnelle s'exprimera dans le parallèle de témoignage sélectif entre science occidentale et thérapie indienne.
Le but, à l'heure ou l'Occident reconnaît timidement que le bouddhisme tibétain a développé une connaissance de l'esprit, est de faire ressentir au spectateur que ces indiens méconnus ont développé eux aussi depuis des milliers d'années au travers de leur propre science de l'esprit, une véritable technologie cognitive.
Ces hommes sont pour moi des guerriers engagés dans la voie de la conscience car pour un shaman, le plus grand allié et le pire ennemi de chaque homme ne font qu'un : lui-même. 
Pour conclure, je garantis que ce film ne sera pas une homélie " new age " sur la culture de ces indiens. Les autres mondes ne sont pas tous des mondes de lumière.

Jan Kounen

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