Où je ne savais !
St Jean de la Croix (1542-1591)
Poète espagnol de la Renaissance, St Jean de la Croix est connu pour sa liberté d’esprit et de cœur, autant que pour sa rigueur à décrire la voie de l’union mystique qui requiert le dépassement des sens et de l’entendement. Ce poème autobiographique aurait été composé, selon la tradition, à Grenade en 1585, au cours d’un état d’oraison contemplative.
Je suis entré où ne savais,
Et je suis resté sans savoir,
Toute science transcendant.
Moi je ne savais où j’entrais,
Cependant quand je me vis là,
Sans savoir où je me trouvais,
De grandes choses je compris.
Point ne dirai ce qu’ai senti,
Car je suis resté sans savoir,
Toute science transcendant.
De paix et de piété
C’était la science parfaite,
En profonde solitude,
Directement entendue ;
C’était chose si secrète,
Que je suis resté balbutiant,
Toute science transcendant.
J’étais tellement ravi,
Si absorbé et transporté,
Que mon sens demeura
De tout sentir privé ;
Et l’esprit, doté
D’un entendement sans entendre,
Toute science transcendant.
Celui qui parvient là vraiment,
De soi-même il défaille ;
Tout ce qu’il savait avant,
Très bas lui semble maintenant ;
Et sa science augmente tant
Qu’il en demeure sans savoir,
Toute science transcendant.
Plus il monte haut,
Moins il comprenait
Ce qu’est la nuée ténébreuse
Qui éclairait la nuit ;
Aussi celui qui savait
Demeure toujours sans savoir,
Toute science transcendant.
Ce savoir en ne sachant pas
Est de si haut pouvoir,
Que les savants argumentant
Jamais ne le peuvent vaincre ;
Car leur savoir ne parvient pas,
A ne pas entendre entendant,
Toute science transcendant.
Et de si haute excellence
Est ce suprême savoir,
Qu’il n’est faculté ni science
Qui le puissent entreprendre ;
Celui qui saura se vaincre
Par un non savoir qui sait,
Ira toujours transcendant.
Et si vous voulez l’écouter,
Cette suprême science
Consiste en un très vif sentir
De la divine essence ;
C’est l’œuvre de sa clémence,
Faire demeurer sans entendre,
Toute science transcendant.
St Jean de la Croix, Poésies complètes, Traduction Bernard Sesé, Les Cahiers Obsidiane,1983.
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