Le rêve de la séparation
Tout ce qu’il y a est le rien étant tout. Et en part de ce tout, apparaît la croyance et l’expérience au quotidien d’être un soi séparé – un individu apparent disposant d’une volonté, d’un pouvoir de choix et d’une capacité à agir qui lui seraient propres. Ceci est spécifique à l’homme et est appelé conscience de soi. La plupart des gens prennent cela pour la réalité.
Le dilemme pour le rêveur en recherche est que le sentiment de séparation gouverne la quête de solution ce qui alimente plus avant le sentiment de séparation.
Tout ceci engendre également chez le rêveur une grande considération pour les conseils, les orientations et le contrôle qui émanent en apparence de l’esprit-qui-comprend. Toutefois, tant qu’il y a un sens de la séparation, il subsiste un sentiment d’insatisfaction ou de perte et une recherche visant à le dissiper.
Bien sûr, la Libération peut, apparemment, survenir, totalement à son gré en dépit de tous ces efforts.
Le seul autre espoir pour le rêveur, pour l’apparent chercheur spirituel, est de croire en une énergie bienveillante (disons Dieu, la Conscience ou un soi-disant maître illuminé) qui puisse être motivée pour le guider et choisir de l’influencer tout au long d’un cheminement finissant par conduire à la plénitude. Mais Il n’est aucun choix à quelque niveau que ce soit. Toutes ces idées de devenir, de but, de dessein, de choix et de destinée naissent au sein du rêve.
Le paradoxe tient à ce que l’Etre bien qu’apparaissant en tant que rêveur en recherche, n’est pas un état qui puisse être imaginé, conçu, atteint ou même réalisé à travers une quête dont il ferait l’objet. Etre ne requiert absolument rien… il est le Rien et le Tout - déjà complétude et plénitude immaculées. Rien n’a besoin d’être transformé ou atteint, abandonné ou trouvé, pour qu’Etre simplement Soit. L’apparence de séparation est simplement l’expression de l’Etre. L’idée même de quelque chose qui aurait besoin d’approcher ce qui est déjà, est merveilleusement futile. L’Etre est un comédien au public qui ne rit jamais.
Le chercheur rêvé éprouve un sentiment de perte et d’indignité et de ce fait se trouve très attiré par les enseignements dans le rêve qui impliquent la purification, l’effort soutenu, l’abandon, la dévotion et la culture de la renonciation et le détachement.
Il y a une sorte d’inéluctabilité logique et d’indéniable honorabilité attachée à ces notions qui résonnent avec le sentiment de manque. La voie quasi sans fin de l’effort assure joyeusement la prorogation de l’expérience individuelle. Ces idées semblent émaner directement de l’histoire d’une sagesse traditionnelle parfaitement cohérente et digne de foi et qui assurément doit être respectée, quand bien même elle ne nous parviendrait plus qu’en tant que mots couchés sur des bouts de papier.
Dans la méditation, il semble possible, par l’intermédiaire d’une guidance et de choix apparents, d’atteindre certains états de tranquillité ou de béatitude qui semblent meilleurs que le sentiment de séparation. La croyance prévalente est que l’effort assidu à la méditation va cristalliser l’état et finira par le rendre permanent. Mais ces états ne sont que des expériences personnelles subtiles survenants à l’intérieur de l’histoire rêvée. Ainsi à l’instar de toute autre activité inscrite dans le temps, ces expériences apparaissent et disparaissent.
Le questionnement de soi est un processus similaire dans le sens où l’individu à pour but de choisir d’agir ou de faire un effort pour atteindre un endroit nommé conscience qui, son maître le lui promet, apportera paix de l’esprit, joie et fin de toute souffrance.
Une grande importance est attribuée à la nécessité de mener une investigation rigoureuse des processus de pensées, etc. et de maintenir une vigilance prévenant « la distraction par des pensées centrées sur soi. »
Toute cette activité se fonde sur le principe de l’acquisition et du maintien d’une possession personnelle de l’unicité.
L’effet de l’état conscient est un mouvement apparent vers un plan de détachement qui à première vue semble très libérateur, puissant et sécure… Un peu comme être dans une cage de verre d’où la vie peut être observée sans que l’observateur soit jamais affecté. Cela demeure une expérience personnelle subtile empreinte de dualité, se déroulant au sein de l’histoire rêvée de la séparation. De ce fait elle est transitoire.
La conscience du déroulement de la vie n’est pas Etre la vie.
Tout cela est simplement l’expression de l’Etre.
L’esprit adore l‘idée d’une illumination qui serait une sorte de lieu distant, virtuellement inatteignable, un espace parfait de félicité permanente, libre de toute souffrance et empli d’omniscience, d’omniprésence, d’omnipotence et de toute une ribambelle d’autres « omnis » très importants, affairés au calcul des tenants et aboutissants et déterminés à sauver le monde. Et bien sûr, comme toute cette gloire et cette distinction doit être conquise de haute lutte, il semble naturel qu’elle soit assortie d’une interminable errance dans les affres de « l’obscure nuit de l’âme », d’innombrables karmas passés, du péché originel, de la pensée juste, de l’action juste et de la préparation aux bardos. « Un conte narré par un sot, plein de bruit et de fureur, mais n’ayant aucun sens. »
Pourtant, Etre, simplement et naturellement Etre, est une constante tellement ordinaire et empreinte de tant de douceur. Quand cela est vu, c’est. Quand cela passe inaperçu, c’est.
Etre ne nécessite aucun effort et ne requiert aucun critère. Intemporel, il n’est pas de voie à épuiser, pas de dettes à payer. C’est déjà totalement su. Quand ceci est entendu et que la confusion se dissipe, quand la tension pour s’emparer de l’ultime se relâche et que la vibrante énergie d’être « la vie même se déployant » devient apparente, quelque chose d’autre émerge, de façon très naturelle, bien sûr, car il s’agit de tout ce qui déjà est.
Tony Parsons 1 Juillet 2006
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire